Temps de lecture : 7 minutes

Quitter son emploi pour se lancer dans l’entrepreneuriat est un rêve partagé par de nombreux salariés. Certains souhaitent créer leur propre société, d’autres préfèrent reprendre une entreprise existante afin de s’appuyer sur une structure déjà opérationnelle. Mais une question cruciale demeure : peut-on démissionner pour reprendre une entreprise tout en bénéficiant des allocations chômage ? La réponse est oui, à condition de respecter un cadre précis : celui du dispositif démissionnaire pour reconversion professionnelle, instauré par la réforme de l’assurance chômage de 2019. Ce mécanisme permet à certains salariés démissionnaires d’obtenir le statut de demandeur d’emploi et de toucher l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) pour sécuriser leur projet entrepreneurial. À travers notre guide, découvrez comment fonctionne ce dispositif, quelles conditions remplir pour en bénéficier, quelles démarches effectuer et quelles stratégies adopter pour réussir une reprise d’entreprise après une démission.

Démission pour reprise d’entreprise : de quoi parle-t-on ?

Traditionnellement, la démission prive le salarié de tout droit à l’allocation chômage. En principe, seuls les licenciements, les ruptures conventionnelles ou les fins de CDD ouvrent droit à l’ARE. Cependant, la législation a évolué pour accompagner les salariés qui souhaitent changer de voie professionnelle ou se lancer dans l’entrepreneuriat.

Depuis 2019, un salarié peut démissionner volontairement et bénéficier du chômage s’il justifie d’un projet réel et sérieux de reconversion professionnelle, ce qui inclut la création ou la reprise d’entreprise.

En effet, le dispositif démission – reconversion a été mis en place pour encourager les transitions professionnelles, offrir plus de sécurité aux porteurs de projets, et fluidifier le passage du salariat à l’entrepreneuriat. Il s’agit donc d’un levier puissant pour tous ceux qui veulent reprendre une société existante sans mettre en péril leur stabilité financière.

démission reprise d'entreprise

Quelles conditions remplir pour être éligible ?

Le dispositif démissionnaire n’est pas automatique. Il repose sur des critères précis que le salarié doit impérativement remplir.

La première condition concerne l’ancienneté. Il faut justifier d’au moins 5 années d’activité salariée continue, soit 1 300 jours travaillés, sans interruption, au cours des 60 derniers mois précédant la démission. Cela signifie que les périodes de chômage, congés sabbatiques ou arrêts longs non rémunérés ne sont pas comptabilisées.

Deuxième condition : le projet de reprise d’entreprise doit être réel et sérieux, c’est-à-dire étudié, structuré et validé par un organisme officiel. Cette validation se fait avant la démission, par l’intermédiaire d’une structure spécifique : le Conseil en Évolution Professionnelle (CEP). Cette étape est obligatoire et doit impérativement se faire avant la démission.

Enfin, le salarié doit démontrer que son projet vise bien à créer ou reprendre une activité économique viable, et qu’il sera capable d’en assurer la mise en œuvre dans un délai raisonnable.

Autrement dit, la démission ne peut être motivée par un simple souhait de changement ou une envie spontanée : elle doit s’inscrire dans un plan professionnel concret et préparé.

Le rôle central du Conseil en Évolution Professionnelle (CEP)

Avant toute démission, le salarié doit obligatoirement prendre contact avec un Conseiller en Évolution Professionnelle. Ce dispositif gratuit, mis en place par l’État, vise à accompagner les actifs dans leurs projets de reconversion.

Le rôle du CEP est multiple : il aide à clarifier les motivations, à formaliser le projet, à évaluer sa faisabilité et à constituer un dossier solide. Il ne s’agit pas d’un simple entretien d’orientation, mais d’un accompagnement personnalisé, souvent étalé sur plusieurs semaines.

Le CEP travaille en lien avec les opérateurs régionaux Transitions Pro, qui seront chargés de valider officiellement le projet. Pour cela, le salarié devra présenter un dossier complet comprenant notamment :

  • Une présentation de l’entreprise à reprendre ;
  • Un business plan ou un plan de financement ;
  • Les étapes prévues pour la reprise ;
  • Et les éléments attestant du sérieux du projet (lettre d’intention, étude de marché, formation envisagée…).

Ce travail préparatoire est essentiel : sans validation du CEP et de Transitions Pro, le salarié ne pourra pas prétendre aux allocations chômage après sa démission.

L’étape cruciale : la validation du projet par Transitions Pro

reprendre une entreprise

Une fois le dossier élaboré avec l’aide du CEP, il est transmis à Transitions Pro, un organisme paritaire régional chargé d’évaluer les projets de reconversion.

Transitions Pro vérifie plusieurs points : la cohérence du projet, sa faisabilité économique, l’implication du porteur et les perspectives de réussite. Si le projet est jugé réaliste, l’organisme délivre une attestation de caractère réel et sérieux du projet. Cette attestation est le sésame administratif indispensable pour pouvoir démissionner tout en restant éligible à l’ARE.

La validation du projet ne vaut pas encore financement ni garantie de réussite, mais elle ouvre le droit à démissionner en toute sécurité. Une fois l’attestation obtenue, le salarié dispose d’un délai de six mois pour effectivement démissionner et s’inscrire comme demandeur d’emploi.

Après la démission : inscription à France Travail (anciennement Pôle Emploi) et versement de l’ARE

Après avoir quitté votre emploi, vous devez vous inscrire rapidement à France Travail pour activer vos droits. Vous présenterez alors l’attestation de Transitions Pro, preuve que votre démission entre dans le cadre du dispositif démissionnaire.

Une fois le dossier validé, France Travail ouvre le versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE), calculée selon les mêmes règles que pour tout autre demandeur d’emploi. Cela vous permet de bénéficier d’un revenu stable pendant la phase de reprise de votre entreprise, de recherche de financement ou de finalisation du projet.

Le montant et la durée de l’ARE dépendent des salaires antérieurs et de la durée d’activité. Ce soutien financier constitue un coussin de sécurité essentiel pour ceux qui se lancent dans la reprise d’entreprise, car il permet de se consacrer pleinement au projet sans précarité.

Qu’entend-on exactement par « reprise d’entreprise » ?

Le dispositif couvre deux grands types de reprise :

  1. La reprise d’une entreprise existante : il s’agit d’acquérir une société déjà en activité, avec son personnel, ses actifs, son portefeuille clients et son savoir-faire ;
  2. La reprise d’un fonds de commerce : plus restreinte, elle consiste à racheter uniquement les éléments nécessaires à l’exploitation (clientèle, enseigne, matériel, …), sans reprendre la structure juridique.

Le salarié doit démontrer qu’il participe activement à la reprise, en tant que futur dirigeant, associé majoritaire, ou porteur du projet principal. Une simple prise de participation financière sans rôle opérationnel ne suffit pas.

Le projet peut s’appuyer sur une reprise totale ou partielle, une transmission familiale, ou un achat via un dispositif collectif comme une SCOP (société coopérative de production). Dans tous les cas, le porteur doit être capable de prouver sa maîtrise du projet et son implication réelle dans la gestion future de l’entreprise.

Se former avant la reprise : un atout souvent décisif

Reprendre une entreprise, même déjà rentable, demande des compétences variées : gestion financière, management, droit des sociétés, fiscalité, communication… Beaucoup de salariés en reconversion choisissent donc de suivre une formation à la reprise d’entreprise avant de se lancer.

Des organismes comme la CCI, BPI France, ou des écoles de management proposent des programmes courts dédiés à la transmission et à la reprise. Ces formations permettent d’acquérir les réflexes essentiels pour analyser la santé d’une entreprise, négocier une reprise, gérer une équipe et piloter une activité.

Bon à savoir : ces formations sont souvent éligibles au CPF (Compte Personnel de Formation) ou au Projet de Transition Professionnelle (PTP). Il est donc possible de les suivre avant même de démissionner, afin de renforcer la crédibilité du dossier auprès de Transitions Pro.

Cette démarche témoigne du sérieux du porteur de projet et augmente considérablement les chances d’obtenir la validation et la réussite de la reprise.

Les erreurs à éviter lors d’une démission pour reprise d’entreprise

Ce dispositif, bien que protecteur, comporte aussi des pièges à éviter.

La première erreur consiste à démissionner avant d’avoir obtenu la validation de Transitions Pro. Dans ce cas, la démission est considérée comme classique et aucune allocation chômage ne sera versée.

Autre erreur fréquente : présenter un projet trop vague ou mal préparé. L’étude de marché, le business plan et la stratégie de financement doivent être précis et cohérents. Transitions Pro évalue le sérieux du dossier, et pas uniquement la motivation.

Enfin, il est essentiel de respecter les délais administratifs. Après la validation, le salarié dispose de 6 mois pour démissionner et 6 mois supplémentaires pour démarrer son activité. Passé ce délai, l’attestation devient caduque, et les droits potentiels sont perdus.

Cumuler l’ARE et l’activité de dirigeant : est-ce possible ?

Une fois la reprise d’entreprise effectuée, il est possible, sous certaines conditions, de cumuler une partie de l’ARE avec les revenus générés par la nouvelle activité. Ce cumul vise à favoriser la transition et à soutenir les débuts souvent fragiles d’un repreneur.

Le principe est simple : tant que les revenus issus de l’entreprise ne dépassent pas un certain seuil, France Travail verse un complément d’allocation. Le montant est ajusté chaque mois selon les revenus déclarés.
Cela permet de sécuriser la période de lancement, le temps que l’activité atteigne son rythme de croisière.

Par ailleurs, si l’entreprise échoue malgré tous les efforts, le créateur ou repreneur peut, sous conditions, retrouver ses droits restants à l’ARE. Ce mécanisme constitue une véritable protection contre le risque entrepreneurial.

Pourquoi choisir la reprise plutôt que la création d’entreprise ?

Reprendre une entreprise existante présente plusieurs avantages considérables : 

  • Le repreneur bénéficie d’une activité déjà établie, avec une clientèle, un chiffre d’affaires, une notoriété et souvent une équipe formée. Cela permet de démarrer plus vite et de limiter l’incertitude du démarrage ;
  • Les banques sont généralement plus enclines à financer une reprise qu’une création pure, car elles disposent de données historiques fiables. Le risque perçu est donc plus faible ;
  • Reprendre une entreprise, c’est aussi perpétuer un savoir-faire, sauver des emplois et participer à la continuité économique locale.
changer de métier

En revanche, la reprise demande une analyse rigoureuse : il faut savoir lire un bilan, identifier les points faibles, négocier un juste prix et assurer la transition humaine avec les équipes. C’est un projet ambitieux, mais passionnant, à la croisée du management, de la stratégie et de la transmission.

Les aides complémentaires pour les repreneurs

Outre le dispositif démissionnaire, d’autres aides existent pour faciliter la reprise d’entreprise :

  • Le versement de l’Aide à la reprise et à la création d’entreprise (ARCE), qui permet de recevoir, en deux fois, une somme correspondant à un « capital de droits » calculé en fonction de vos droits restants à l’allocation chômage ;
  • Les aides régionales et BPI France : elles soutiennent la transmission d’entreprises à travers des prêts d’honneur, des garanties bancaires et des dispositifs de conseil ;
  • Les réseaux d’accompagnement, comme les CCI, les chambres de métiers ou les associations de repreneurs : ils proposent des conseils gratuits, des diagnostics et des mises en relation avec des cédants.

Cumuler ces aides peut réduire considérablement le risque financier et faciliter la transition entre salariat et entrepreneuriat.

En résumé : une démission sécurisée, un projet réfléchi

La démission pour reprise d’entreprise n’est pas un pari risqué, mais un choix stratégique, encadré et sécurisé par le dispositif démissionnaire. Elle permet aux salariés expérimentés de donner un nouvel élan à leur carrière, de devenir leur propre patron tout en conservant une protection financière temporaire.

Pour réussir, trois clés sont essentielles : préparer votre projet avec méthode, vous faire accompagner par le CEP et Transitions Pro, et respecter scrupuleusement les démarches administratives.

Ce dispositif représente une avancée majeure pour la liberté professionnelle : il reconnaît que la reconversion et l’entrepreneuriat ne sont pas des ruptures, mais des continuités du parcours de vie.

Reprendre une entreprise, c’est reprendre un héritage, un savoir-faire, une histoire. C’est aussi écrire la sienne, avec audace, lucidité et ambition !

Aller à la barre d’outils